Y sí, en penúltiMa somos cada vez más cosmopolitas. Bueno, eso y que tenemos la suerte de tener colaboradores que escriben tanto en castellano como en otras lenguas, francés en este caso. Guillaume Contré ha escrito dos novelas que son la misma, o la misma novela en dos formas distintas. Una en español, que en breve tendrá editorial y fecha de publicación, y otra en francés, que se presenta este viernes 2 de noviembre en París. Son dos libros y es uno solo, siendo uno tiene dos cuerpos totalmente distintos. El francés lo publica Louise Bottu. Aquí tienen un fragmento como adelanto.

 

Que s’était-il passé ? L’heure était étrange : lorsque la nuit n’est pas jour et que le jour n’est pas nuit. Une lumière diffuse régnait, on n’aurait su dire si électrique ou naturelle, comme répandue par une main bienveillante et distraite. Au coin de la rue, juste après le sempiternel bar de l’oncle Alexandre, Frédéric s’arrêta d’un coup, comme si une idée – ou moins que ça, le battement d’aile d’un de ces doutes aussitôt oublié – l’avait pris d’assaut. Un assaut noyant les territoires équivoques de l’esprit. Il oublia à l’instant la raison de son arrêt, mais ne bougea pas pour autant. Pendant quelques minutes, il resta immobile, droit, un peu tendu. Sur l’avenue, une voiture passa. Ensuite une autre, suivie d’un bus furieux. Frédéric sortit finalement de sa transe et reprit comme si de rien n’était sa promenade. D’abord, il dut attendre avant de pouvoir traverser. Une petite vieille s’arrêta à côté de lui. Elle se mit à le regarder comme si elle pensait lui demander quelque chose. Elle avait un regard à la fois vitreux et moqueur. Frédéric pensa à la mort et à son lit car il avait sommeil. Un type avec un chien s’arrêta également à côté de lui. Mais il ne le regarda pas. Il regardait plutôt les voitures passer rapidement, il en suivait même certaines en bougeant la tête. Les voitures, finalement, s’arrêtèrent et ils purent traverser. De l’autre côté, il n’y avait rien. La même rue qui continuait. Frédéric s’y fourra jusqu’au coin de rue suivant, où il tourna à droite. Une rue plus tranquille, arborée, où peu de voitures circulaient. Il vit sur l’autre trottoir qu’un type avec un chien (un autre type) avançait dans la direction contraire à la sienne. Il ne déduisit rien de cette observation. Des gens qui promenaient des chiens dans cette ville et dans d’autres, il y en avait beaucoup. Mais lorsqu’ils se trouvèrent – la chaussée les séparant – au même niveau, chacun sur son trottoir, le chien du type au chien tourna la tête et le regarda. Frédéric vit dans ce regard quelque chose qu’il était incapable de lire. Peut-être n’en avait-il pas envie. Qu’importe, le chien et le type avaient déjà disparu. Entretemps, Frédéric était arrivé à un coin de rue, un des innombrables coins de rue de sa vie et, voyant qu’il y avait un bar, il s’y engouffra. C’était un bar laid et impersonnel, de ceux qui font partie de chaînes qui prétendent nous faire croire aux vertus de la répétition du même, comme si nous ne foulions pas les rues à la recherche de la différence. Cela, Frédéric ne le pensa pas, car il ne cherchait rien. Une fois entré dans le bar, il se rendit compte que, bien que ne cherchant rien, il devrait commander quelque chose. Il s’assit à une table qui ne donnait pas sur la rue et ne se trouvait pas non plus au fond. C’était une table quelconque disposée dans un coin pas confortable, près du comptoir. Le serveur, un vieux borgne qui portait un uniforme avec le logo de la chaîne – une tasse de café au-dessus d’un croissant difforme – lui demanda ce qu’il voulait. Pour tout dire, il ne demanda rien ; il se contenta de proférer quelques sons décousus puis de rester silencieux. Il ne le regardait même pas. Il regardait plutôt quelques miettes sur la table sans se préoccuper de la nettoyer, alors qu’il tenait un torchon humide dans sa main. Frédéric ne savait pas quoi lui dire. Il avait l’esprit vide. Il regarda le mur et vit des cadres avec des photos impersonnelles qui ne parvenaient pas à former la figure de quoi que ce soit. Il pouvait s’agir de maisons à l’aurore, de chevaux en fuite ou de footballeurs des années 70. Lorsqu’il tourna de nouveau la tête vers le serveur, celui-ci n’était plus là. La carte était là, en revanche, sur la table, affichant le même logo avec sa tasse et son croissant. Frédéric décida qu’il n’avait pas besoin de la carte pour faire son choix. Il se dit que ce n’était pas quelque chose de difficile au point d’avoir besoin d’aide. Son oncle Alexandre ne consultait jamais aucune carte dans son sempiternel bar. Le serveur revint, comme surgi de derrière le comptoir. Il le regarda à nouveau et cette fois ne dit rien. Avant de se mettre à paniquer, Frédéric prononça le mot « crème » et le vieux s’en fut. Frédéric fut pris du désir de penser à la relation entre les mots et les actes, mais laissa tomber. Sur la table d’à côté, il y avait un journal. Il le prit, regarda la date – une date sans le moindre sens – et le laissa. À la une, il y avait une photo qu’il ne sut identifier. Il pouvait s’agir d’un homme politique, d’un acteur ou de tout autre chose. Il pouvait s’agir d’un objet ou d’un lieu. Il y avait aussi des mots, mais Frédéric ne les avait pas lus. Juste derrière lui, à une autre table, une femme dit quelque chose à quelqu’un, le répéta au moins deux fois et se leva de sa chaise. Frédéric la vit passer, elle se dirigea vers ce qui devait être les toilettes. Il imagina une lagune et son visage qui se reflétait dans l’eau. Ensuite, il imagina un voilier qui traversait l’eau. Il lui sembla que, tant qu’à traverser, la mer conviendrait mieux. Mais on ne peut pas toujours traverser ce qu’on veut, se dit-il. Traverser en soi est déjà bien, conclut-il. Le vieux serveur, en faisant irruption du néant, posa le crème sur la table. Un peu de liquide s’était répandu dans la soucoupe. Une lagune réduite à rien, qu’on ne pouvait pas traverser. Il souleva avec précaution la tasse débordant de liquide avec son lait vaguement mousseux, l’approcha de ses lèvres, fut sur le point d’aspirer, mais la posa finalement de nouveau sur la table. Il avait pensé quelque chose en lien avec tout ça, déjà oublié. Il regarda de nouveau le mur et les cadres qui s’y trouvaient accrochés. L’un se démarquait, bien qu’il ne sache dire en quoi. Il était aussi anonyme que les autres, et même plus petit, mais avec une touche de discernement qui l’attira. Frédéric ne croyait pas spécifiquement au discernement, cependant l’idée lui plaisait. Le discernement lui semblait un bon chemin dans la vie, une façon sereine et sûre de traverser. L’image dans le cadre montrait une forme rectangulaire, avec une silhouette au premier plan. Humaine ou animale. Les deux éléments se confondaient un peu, d’autant qu’à force de fixer l’image, Frédéric sentait son regard devenir moins net. Au bout d’un moment, alors que la netteté était devenue un songe impossible, il ferma les yeux une seconde, tourna la tête et les rouvrit pour regarder son café. Rien n’avait changé, même si le lait semblait moins mousseux. Cette fois, il but une partie du breuvage. Pas beaucoup, mais suffisamment pour se rendre compte que le liquide avait un goût amer. Il n’y avait pas de sucre. Il chercha sur sa table, mais ne vit pas de sucrier. Sur celle d’à côté, en revanche, il y en avait un. Il tendit la main et le prit. La pluie de petits grains blancs était dense, fascinante. Ébahi, il laissa tomber trop de sucre. Cela ne lui importa pas et il but quand même. Ce n’était plus amer. C’était trop sucré. Cela ne lui importa pas. Il posa la tasse dans la soucoupe et regarda le comptoir. Le vieux était en train de le nettoyer avec le torchon. Frédéric se rendit compte qu’il y avait de la musique dans le bar, une musique plutôt forte, ce qui le dérangea. Une voix féminine, crispante, dans une autre langue. Identifier cette langue ne lui importa pas, on pouvait néanmoins supposer que c’était de l’anglais. Il se dépêcha de finir ce qui restait dans la tasse et se leva. Il ne voulait plus être là. Il ne savait pas combien coûtait sa consommation, il chercha dans sa poche, trouva une poignée de billets et choisit le plus petit. Il le posa sur la table et sortit du bar. Dehors, il faisait déjà jour, ou nuit, il ne sut dire. La lumière avait changé, mais pas suffisamment pour se décider. De toute façon, cela ne lui importa pas. Il dut laisser passer une voiture avant de pouvoir traverser la rue. Une petite vieille s’arrêta à côté de lui. Elle ne le regarda pas et Frédéric ne put savoir si elle avait le regard vitreux. Il ne pensa pas à la mort, mais il pensa à son lit. Il avait sommeil. Il bâilla. La petite vieille fit la même chose. De cette coïncidence, Frédéric ne tira aucune conclusion. Ils traversèrent conjointement. Mais une fois sur le trottoir d’en face, Frédéric prit les devants et oublia la vieille. Celle-ci poussa un soupir étouffé. Frédéric n’en eut même pas conscience. Il pensait quelque chose au sujet du temps passé. S’en était-il passé du temps, depuis qu’il était sorti du bar ? Pas beaucoup, se dit-il, bien qu’il ne puisse en être sûr. Il se pouvait également qu’il s’en soit passé beaucoup. Pour une fourmi, beaucoup de temps était sûrement passé. Mais il n’était pas une fourmi, il prenait davantage de place dans le monde. Et cela le dérangea. Il ne savait pas trop pourquoi, mais cette question de l’espace qu’il prenait le dérangeait au plus haut point. Qu’importe, ça pouvait arriver. Au coin de rue suivant, il tourna à gauche et fut sur le point de heurter quelqu’un. Heureusement, ce ne fut pas le cas. L’inconnu l’insulta tout bas et disparut derrière la porte d’un immeuble très haut. Frédéric leva la tête pour vérifier la hauteur réelle de l’immeuble. Il lui sembla qu’il n’était pas si haut que ça, finalement. Il avait vu des immeubles qui l’étaient beaucoup plus. Dans le centre, par exemple. Également dans un autre quartier, il ne se rappelait plus lequel. De toute façon, cela ne lui importa pas et il poursuivit son chemin. La hauteur n’était pas comme l’espace, se dit-il. La hauteur n’occupait pas tant d’espace comme le faisait justement l’espace, se dit-il. Lui, par exemple, qui était plutôt petit, occupait beaucoup d’espace, tandis que cet immeuble-là, malgré sa hauteur, était léger. Lui, au contraire, était pesant. Un fardeau. Les fourmis, en revanche, sont légères, pensa-t-il. On peut les écraser très facilement. Il pensa qu’il n’aimait pas écraser les fourmis. Non qu’il eût senti un amour particulier pour cette espèce (ou pour n’importe quelle autre), mais cela lui semblait une négligence d’écraser quelque chose d’aussi léger qui prenait si peu de place. Écrasées, elles en prennent davantage, pensa-t-il, comme pour se justifier. Ensuite, il se demanda si avec le pied on pouvait écraser un pigeon, par exemple. Il lui sembla que non. Il lui sembla que les pigeons avaient une densité plus grande que celle d’une fourmi, et même que celle de plusieurs fourmis. Il pensa qu’il n’était pas très difficile d’écraser disons dix fourmis à la fois, mais que cela l’était en revanche d’écraser ne serait-ce qu’un demi pigeon, et il trouva cette pensée étrange. Peut-être qu’avec les deux pieds on pourrait écraser un pigeon entier, se dit-il, une moitié par pied. Mais il lui sembla que ce n’était pas très pratique. Il fallait sauter sur le pigeon avec les deux pieds bien collés et, tandis qu’on sautait, le pigeon en profiterait pour s’envoler ou il s’écarterait au moins un peu. Ça pouvait être aussi une question d’entraînement. S’entraîner à sauter et à joindre les pieds très rapidement. En un clin d’œil. Certains y arrivaient sûrement. Il y avait de grands sportifs dans le pays et aussi dans d’autres pays. Les sportifs sautaient-ils rapidement ? Il le supposa. Il se dit qu’ils devaient sauter. Il lui sembla que la vitesse était un des attributs des sportifs. Il essaya de penser à d’autres attributs des sportifs, mais aucun ne lui vint à l’esprit. Les sportifs, évidemment, savaient courir, et s’ils savaient courir, ils savaient sauter, car après avoir couru pendant un moment, il n’y avait rien d’autre à faire. Mais pouvait-on sauter d’abord et courir ensuite ? Après y avoir pensé un moment, il conclut que oui, sauter et courir étaient des activités indépendantes, même si elles pouvaient parfois coïncider. Sauter, c’était comme suivre une impulsion, surtout si on courait avant. Car sinon, sauter d’un seul coup, sans préparation, n’était-ce pas presque impossible ? Il fut sur le point de sauter, pour voir s’il pouvait le faire sans se mettre à courir avant. Mais il s’arrêta car une petite vieille qui passait à côté de lui tourna la tête et le regarda avec des yeux à la fois vitreux et moqueurs. Une fois qu’elle fut passée, il n’eut plus envie de vérifier quoi que ce soit, encore moins de sauter sans raison. Il poursuivit son chemin. Il pouvait voir devant lui la petite vieille au regard moqueur et vitreux qui avançait avec une rapidité surprenante pour son âge. Il se demanda quel âge avait cette vieille et il pensa à la mort. Alors, il bâilla.

 

Guillaume Contré nació en Angers, Francia, en 1979. Es escritor, crítico literario, traductor del español y del inglés, colaborador de la revista francesa de crítica y actualidad literaria Le Matricule des Anges y escribe además en revistas web (Fric Frac Club, Espacio Murena, Revista penúltiMa) y tiene su propio blog, L’escalier des aveugles. Ha entrevistado a autores como Sergio Chejfec, Daniel Guebel, Pablo Katchadjian, César Aira o Gabriel Josipovici y ha escrito tanto en francés como en castellano reseñas y artículos críticos sobre las obras de Mario Levrero, Armonía Somers, Fogwill, Alberto Laiseca, Andrés Caicedo, Juan José Saer, Damián Tabarovsky, João Gilberto Noll, entre muchos otros. Ha colaborado con un prologo a la antología de autores jóvenes argentinos y chilenos Degenerados, compilada por Gonzalo León, publicada en Chile y España por la editorial Laguey. Ha traducido las novelas Gracias, de Pablo Katchadjian, Plaza Irlanda, de Eduardo Muslip, Quema, de Ariadna Castellarnau, y las obras completas de Ricardo Colautti. Su traducción de We that are young, novela de más de 600 paginas de la escritora inglesa Preti Taneja se publicará próximamente. La novela corta Discernement [Éditions Louise Bottu, 2018] es su primer libro propio publicado. Es también compositor de música electroacústica (https://soundcloud.com/guillaumecontre).

Preliminares es la sección donde anticipamos libros que se publicarán en breve, Adelantos que sirven como Preliminares del gozoso acto de encuentro con los lectores en forma de libro, donde la experiencia de lectura se torna verdaderamente material.